OAB : gare à la cohérence des explications fournies

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Interrogée sur la faiblesse de son prix dans le cadre de l’article 55 du CMP, une entreprise a apporté au pouvoir adjudicateur un certain nombre de justifications et justificatifs. La réponse a convaincu la personne publique, puisqu’elle n’a pas écarté son offre comme anormalement basse et lui a même attribué le marché. Le juge du recours Tropic considère pour sa part qu’elle a commis une erreur manifeste d’appréciation en retenant cette offre.

Confronté à une offre potentiellement anormalement basse, le pouvoir adjudicateur doit être vigilant. Dans le cadre d’un marché pour la fourniture de prestations de déménagement, un candidat a proposé un prix inférieur de plus de 50% à l’offre classée en 2ème position sur le critère du prix et de plus de 70% à la moyenne des prix des 10 autres offres. Flairant l’offre anormalement basse, le département de Seine-et-Marne a déclenché l’article 55 du code des marchés publics et demandé des justifications pour expliquer la faiblesse du prix. En réponse, la société a expliqué qu’elle pouvait proposer un prix concurrentiel car elle bénéficiait d’avantages fiscaux et sociaux (réduction « Fillon », domiciliation des sociétés du groupement en zone franche urbaine), qu’elle utilisait des véhicules d’une capacité de 25 m3 lui permettant d’une part, de faire des économies de carburant en transportant plus de biens et, d’autre part, de faire des économies de personnel en supprimant le besoin d’un déménageur grâce à l’utilisation d’une rampe d’accès plutôt que d’un hayon élévateur. Convaincu par ces explications, le pouvoir adjudicateur a décidé de ne pas écarter son offre comme anormalement basse et lui a attribué le marché. Un candidat évincé a saisi le juge d’un recours en contestation de la validité du contrat, dit recours Tropic, en vue d’obtenir son annulation ou sa résiliation. Par un jugement rendu le 5 février, le tribunal administratif de Melun a fait droit à sa demande. Il a jugé que le département a commis une erreur manifeste d’appréciation en n’écartant pas l’offre de la société comme anormalement basse. Il prononce la résiliation immédiate du contrat, mais permet l’exécution des bons de commande émis jusqu’au jour de l’audience inclus. « C’est une résiliation plutôt « indolore » pour la personne publique, commentent Marie-Laetitia de La Ville-Baugé et Mélodie Lenglart, avocats du cabinet Baker & McKenzie. En effet, ce jugement intervient tardivement, le contrat ayant été signé en 2013 pour 3 ans. Elle oblige simplement le pouvoir adjudicateur à passer un nouveau marché plus tôt ».

Contradiction entre les justificatifs produits et les explications données

« En l’espèce, le pouvoir adjudicateur s’est contenté de demander des explications sur le chiffrage global de l’offre. Or le bordereau des prix unitaires, s’agissant du prix de mise à disposition de la main d’œuvre faisait apparaître un prix horaire très inférieur (8 € pour un déménageur professionnel et 8,20 € pour un coordinateur) à celui des autres candidats et surtout aux coûts salariaux que supporterait un employeur respectant le salaire minimum garanti par la convention collective applicable », relèvent les deux avocats. Le TA considère qu’il ressort des justificatifs produits par la société attributaire que le calcul du coût de mise à disposition de la main d’œuvre aboutit à un coût horaire de 14 € pour un déménageur professionnel et de 15 € pour un coordinateur sans que les avantages fiscaux et sociaux ne puissent expliquer cet écart.

Les coûts proposés par la société attributaire étaient des coûts calculés au mètre cube de biens déménagés alors que le bordereau des prix unitaires prévoyait des coûts horaires

« Dans les  documents produits par la société attributaire, il est également apparu une erreur dans l’unité de mesure utilisée dans l’offre du candidat. Les coûts proposés par la société attributaire étaient des coûts calculés au mètre cube de biens déménagés alors que le bordereau des prix unitaires prévoyait des coûts horaires », ajoutent les avocats. Il y a donc une contradiction entre les justificatifs produits et les explications données par la société en réponse à la demande de la personne publique. Ces documents révèlent, pour le TA, le caractère anormalement bas du prix proposé pour la mise à disposition de la main d’œuvre qui se répercute sur le prix de l’ensemble de l’offre. Le département n’aurait pas dû retenir cette offre. « Le juge sanctionne une faute du pouvoir adjudicateur et non de l’attributaire. Il opère un contrôle très poussé des justifications qui ont été produites alors que le juge aurait dû se limiter à l’erreur manifeste et aux termes du débat, les contradictions retenues n’ayant pas été soulevées directement par le concurrent évincé. Le département a demandé à la société de justifier certains prix. Les réponses apportées lui ont semblées cohérentes et claires », observe Guillaume Delarue, avocat au cabinet Gaia.

L'accès aux documents comptables du candidat


«La difficulté c’est que le pouvoir adjudicateur n’a pas accès aux documents comptables de l’entreprise. Si cette dernière ne veut pas les fournir, à l’occasion d’une audience, pour apporter un éclairage sur ses prix, la personne publique se retrouve coincée et le juge la considère comme seule fautive. C’est regrettable », poursuit-il. Pour éviter de se faire sanctionner, les personnes publiques doivent faire une analyse précise des réponses apportées par les candidats.

Compte tenu du contrôle très poussé du juge, les personnes publiques devront désormais faire preuve d’une double exigence

« Pour faciliter ce travail d’analyse, il faut que les réponses des entreprises soient suffisamment claires. Il faut que les justifications ne soient pas théoriques mais apportent une démonstration économique de leur impact sur les prix », expliquent Marie-Laetitia de La Ville-Baugé et Mélodie Lenglart. « Compte tenu du contrôle très poussé du juge, les personnes publiques devront désormais faire preuve d’une double exigence : au niveau des informations à demander aux entreprises dans le cadre de la mise en œuvre de l’article 55 du code et quant à l’appréciation des justifications apportées. Il n’est pas évident que toutes les collectivités aient un personnel qualifié dans tous les domaines, lui permettant de procéder à ce contrôle. Les offres moins chères, et peut-être plus concurrentielles que les autres, seront donc plus facilement écartées lors de la passation des marchés », estime Guillaume Delarue.